Coronarticle (puisqu’on y est)

Souvent je ressens le besoin de me refaire le film, de comprendre, quand et comment tout ça a fini par déraper. Souvent je suis surprise de ma naïveté : j’ai longtemps pris cette histoire pour un simple délire médiatique. 

J’imagine que du confinement, du Corona et du Covid, tu en manges matin, midi et soir comme à peu près tout le monde, alors désolée de ne pas changer de sujet. D’un autre côté, quand j’essaie de choisir un podcast le soir, personnellement, je n’arrive pas vraiment à en choisir un qui parle d’autre chose. Je prends toujours des thèmes connexes : une émission philosophique sur le besoin physique de bouger, une discussion avec un pasteur sur le sujet du carême et de Pâques confinés.

J’étais en France quand le thème du Corona a fait son apparition dans les hebdomadaires auxquels je suis abonnée (Le Point et le Spiegel). C’était mi-février. A cette époque là, les articles qui lui étaient consacrés m’agaçaient, je trouvais ça exagéré, alarmiste. Je n’avais peut-être pas non plus trop envie de me poser de questions juste avant de traverser deux aéroports bondés avec mes deux enfants. 

Lorsque je suis rentrée en Allemagne, au travail, lors du comité directeur du vendredi, le vendredi 28 février exactement – je viens de vérifier sur le calendrier – le thème a quasiment monopolisé les discussions. Mais on parlait encore plutôt de psychose a gérer chez les administrés une espèce de délire contagieux qui nous obligeait à commander du liquide hydro-alcoolique en masse (liquide qui ne sera jamais livré avant la fermeture de nos bureaux d’ailleurs). Il y avait des régions à risque, oui, mais loin ou éparpillées. On faisait le parallèle avec le SRAS de 2002, celui qui m’avait empêchée de faire le transsibérien à l’époque où j’habitais en Russie, mais qui n’a jamais rien vraiment changé à la vie en Europe.

Le 2 mars j’ai écouté le podcast de celui qui est devenu depuis le virologue le plus connu d’Allemagne : Christian Drosten. Il était rassurant, alors j’ai été rassurée. J’ai continué ma vie sans rien changer à mes habitudes, puisque c’était ce qu’il conseillait de faire. Je me suis juste sentie bête, presqu’un peu sale, quand j’ai ressenti la gêne de mon chef autrichien au moment où je lui ai serré la main. Quelques jours plus tard, j’ai éternué en salle de réunion, c’était pire. Je me souviens m’être emportée un soir contre les enfants qui rechignaient à se laver les mains. Et puis le samedi 7 mars, alors qu’à la maison mon mari médecin commençait sérieusement à s’inquiéter, j’ai eu l’impression de vivre dans un monde parallèle en sortant en ville dans un restaurant bondé.

Dans ma tête, comme dans la tête de beaucoup j’imagine, les choses se sont totalement emballées à la fin de la semaine du 9 mars. Cette semaine là, le mercredi, je suis allée en ville avec les enfants leur acheter de nouvelles chaussures puis je les ai emmenés au salon de thé prendre le goûter. Je commençais à sentir une effervescence, mais je n’imaginais pas du tout ce qui nous attendait. J’ai adoré cet après-midi et j’en garde aujourd’hui un vrai souvenir ému, un peu comme une dernière fois de notre vie d’avant. Le jeudi, les écoles ont été fermées en France, le vendredi en Allemagne. J’ai appris la nouvelle lors de la pause déjeuner, via la notification automatique du smartphone d’un collègue. Je ne voulais pas y croire… Je suis allée dans mon bureau écouter en direct le discours du président de notre Land. La fermeture a été confirmée pour cinq semaines, jusqu’à la fin des vacances de Pâques, le 19 avril chez nous. 

Le week-end suivant, en quelques jours, tout s’est précipité. Les frontières entre la France et l’Allemagne ont été fermées. Alors que le samedi matin je prévoyais encore les sorties que j’allais pouvoir faire avec les enfants pendant ces cinq semaines, alors que le samedi après-midi, nous étions encore au parc, nous étonnant cependant de ne pas y voir grand monde, j’ai compris le dimanche soir que pour toute sortie il faudrait désormais nous contenter d’un tour du pâté de maison. Mon mari médecin étouffait alors toutes mes bouffées d’optimisme, mes rêves de retour à la normale dès la mi-avril, de vacances prochaines en France. Je lui en ai voulu pour ça. Les événements, les mauvaises nouvelles, allaient plus vite que ma capacité à les encaisser.

Du déni : chapitre sortie, page confinement, le 16 mars 2020
(photo personnelle)

Depuis, je vis avec plein de choses qui me semblent normales mais qui ne le sont pas. Des gens masqués au supermarché, des rues vides, des amis et des collègues que je ne vois plus que par écran interposés, la France loin et inaccessible, des enfants sans copains, des gens dans les rues filmés à leur insu – sans savoir quand, comment, (si ?) cela va se terminer.

Et toi, tu ressens parfois le besoin de te « refaire le film »?

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19 Comments

  • Lumi

    17 avril 2020

    J’ai eu un peu le même parcours que toi. J’ai longtemps vécu ça avec détachement, sans prendre beaucoup de précautions. L’annonce de la fermeture des écoles m’a complètement prise de court. Ce n’est qu’à cet instant que j’ai senti qu’on basculait dans autre chose, quelque chose qu’on n’avait jamais connu. Mais je croyais naïvement pouvoir encore continuer mon travail en interne… Illusion réduite à néant par l’annonce du confinement.
    Je me dis souvent, comme dans un sursaut d’incrédulité, qu’on vit une période étrange… Et j’ai bien du mal à me projeter dans un retour à la normale.

    • Die Franzoesin

      17 avril 2020

      Les récentes annonces avec une perspective de déconfinement, en France comme en Allemagne, m’ont redonné beaucoup d’espoir. J’espère ne pas être déçue…

  • Madame Fleur

    17 avril 2020

    Bien que je m’y attendais (on en parlait deux semaines avant quand mes parents étaient encore avec nous et qu’ils avaient peur de se retrouver bloqués), quand on est passé au stade 2, je trouvais ça déjà dur à encaisser. Je me doutais qu’on en arriverais au stade 3 mais je ne pensais pas que le confinement serait aussi strict (et encore j’aurais préféré qu’il le soit plus pour qu’on soit mieux protégé). Maintenant je me demande à quoi ressemblera notre vie après ça. Et comment on s’en sortira sans trop de dégâts.

    • Die Franzoesin

      17 avril 2020

      Je me demande aussi… Est-ce qu’un jour on finira par se re-serrer la main ou est-ce que ce geste va disparaître dans l’histoire ?

  • Doupiou

    17 avril 2020

    Refaire le film. C’est exactement ça.
    Au début je me disais, comme beaucoup, c’est un virus de Chine, c’est à des milliers de kilomètres donc tant pis…
    Et puis il y a eu le second cas en France, en Haute-Savoie, à quelques kilomètres de chez moi, premier touché – le maire, un ami de la famille, avec qui mes parents avaient passé la soirée une semaine plus tôt.
    Le covid était là : à quelques kilomètres de chez moi. Donc oui on a eu la trouille assez vite.
    S’en est suivie une période d’angoisse assez forte, surtout quand j’ai travaillé tout le dimanche du premier tour des élections et que, quelques jours après, on annonce la fermeture des écoles et crèches. C’est vraiment là que j’ai pris conscience de la gravité de la chose.
    Je rêve d’un retour à la normale, même si je n’y crois pas vraiment

    • Die Franzoesin

      17 avril 2020

      Comme toi je rêve souvent de retrouver notre vie d’avant mais pour le moment je crois qu’il vaut mieux se rattacher aux petites choses encore autorisées.

  • Azu

    17 avril 2020

    Perso, j’ai tout de suite senti que ça allait partir en couille. J’ai été au courant extrêmement tôt de ce qui se passait en Chine car je surveillais les news asiatiques. On devrait être actuellement en Japon, donc j’étais assez sensible à ce qui se passait à l’autre bout du monde à ce moment-là. J’ai aussitôt vu d’un mauvais œil ce coronavirus qui clairement avait le pouvoir d’impacter notre voyage, même s’il était encore extrêmement tôt (et j’ai eu raison…). J’ai très vite commencé a me lever les mains des que je faisais une activité en dehors de mon bureau. J’avais peur de l’attraper et de ne pas pouvoir me rendre au Japon. Finalement c’est la quarantaine qui aura eu raison de ce voyage.

    • Die Franzoesin

      17 avril 2020

      C’est intéressant tu as vécu ça presque d’un point de vue asiatique… J’imagine ta déception pour le voyage.

  • 3 Kleine Grenouilles

    17 avril 2020

    Les deux premières semaines de mars, nous étions en vacances en France. C’était assez bizarre, nous étions avec mes parents et avons fait des sorties et on plaisantait à moitié avec mon mari sur le fait que ça serait plus sympa d’être confinés chez mes parents dans leur maison avec un grand jardin que dans notre appart avec un petit balcon. Nous sommes rentrés le jeudi et le lendemain, nous apprenions que la rentrée scolaire n’aurait pas lieu le lundi suivant. Depuis, je suis à la maison avec les enfants, mon mari va au travail et on a trouvé notre petit rythme comme ça. Mais c’est tellement bizarre. Seul point positif, on n’a jamais aussi peu dépensé en un mois. On a fait un plein d’essence en un mois et à part les courses, on n’achète rien. Par contre je commence à vraiment m’inquiéter pour les vacances de juillet. On devait revenir en France.
    Bon courage à tous !

    • Die Franzoesin

      19 avril 2020

      Les vacances d’été m’inquiètent aussi beaucoup… j’essaie de ne pas trop y penser pour le moment…

  • Cricri2j

    17 avril 2020

    Si j avais continué de vivre et sortir normalement, j avais commencé à m angoisser très tôt. J alertais au travail et je suis passée pour « parano ». La mise en confinement m a donc plutôt « rassurée » tant je l espérais

    • Die Franzoesin

      17 avril 2020

      Au restaurant le 7 mars je trouvais aussi l’absence totale de mesures étonnante. Heureusement quelques jours après les autorités ont réagi.

  • Virg

    17 avril 2020

    Jusqu’à ce qu’on parle encore de grippe, je ne m’angoissais pas outre mesure. Puis, j’ai appris l’histoire du système immunitaire qui peut s’emballer, une loterie, et j’ai compris qu’on était mal.
    En fait, je comprends les enjeux économiques mais je suis quelque part outrée qu’on ne pousse pas la logique du confinement plus loin. Quand il s’agit de santé publique, il me semble que l’aspect économique devrait passer au second plan.
    Par ailleurs, je suis effarée de voir que beaucoup ne respectent toujours pas les gestes barrières. Est-ce parce que ma belle-soeur est infimière ou parce que mes parents cochent toutes les cases des personnes fragiles ? Peut-être. En tout cas, j’ai eu une pensée idiote : tout ça aura peut-être remis l’hygiène à sa bonne place, oui, on se lave les mains souvent, oui on nettoie la salle de repos quand on la salit, etc.
    Je suis très très partagée par la réouverture des crèches, en tant que maman, je ne peux m’empêcher d’être inquiète. C’est le problème des maladies, on est souvent impuissant face à elles. Et c’est le pire; un ennemi invisible, face auquel on ne peut rien d’autres que se laver les mains, se protéger au max en espérant que la personne en face de soi a fait pareil.

    • Die Franzoesin

      19 avril 2020

      Etrangement je ne redoute pas trop une contamination pour moi ou mes proches… C’est peut-être une forme de déni cependant. En revanche avec un mari médecin nous sommes très à cheval aussi sur tous les gestes barrières etc. et ceux qui ne les respectent pas m’agacent énormément 🙂 .

  • Ornella

    17 avril 2020

    L’installation a été graduelle pour moi, car on était sur le sujet depuis fin décembre début janvier au travail. Du coup je n’ai pas l’impression que le sujet s’est emballé sans moi et qu’il me manque un bout du film. Quand mes supérieurs ont commencé à me dire qu’il fallait que j’envisage des solutions pour ne plus prendre les transports et me payer un taxi, je me suis dit « Tiens faut que je mette mes parents en garde », mais c’était encore loin de moi. Le gros choc pour moi a été de voir en service l’état de certains de mes patients. En réanimation d’habitude, on a un ou deux patients en décubitus ventral en même temps. Même en période de grippe tu en as plus mais tu as de vraies pistes thérapeutiques, donc la tension est moindre. Mais là tout mon ancien service avec uniquement des patients COVID-19,tous sur le ventre, la fatigue et l’angoisse de voir ces patients ne pas répondre aux thérapeutiques ça m’a angoissé. Le soir venu, je suis rentré et j’ai vraiment eu besoin de parler à des amis, à de la famille pour rationaliser et ne pas céder à une grosse panique. Je vais bien mieux aujourd’hui, je n’ai pas revécu d’épisode de ce type et j’en suis bien contente. Je suis même de ceux qui ont envie que le virus se fasse la malle mais pas tellement envie de sortir et de reprendre notre ancien rythme, de courir, de rentrer trop tard, se voir moins.

    • Die Franzoesin

      19 avril 2020

      En ce moment je suis aussi entre deux, entre l’envie de reprendre ma vie d’avant et celle de garder précieusement les douceurs de la vie d’en ce moment…

  • Madame Colombe

    18 avril 2020

    Bonjour, je travaille dans le milieu médical et pendant longtemps on a entendu tout et son contraire sur le coronavirus.
    On a commencé à se dire le 13/03 que c’était grave: réunion de crise et annulation de tous les rdv non indispensables. Puis, le lundi 16, le couperet tombe : annulation de tous les rdv, et mise en télé travail dès le lendemain. Personnellement, je m’adapte très bien au télé travail ainsi qu’au confinement. Mais en regardant en arrière, je m’aperçois que la situation s’est emballée quasiment du jour au lendemain. Et là, j’ai la nette impression d’un relâchement des gestes barrière, du moins là où je vis ( zone perirurbaine). Entre les voisins qui passent leur après midi dans la rue pour discuter, et les gens qui n’ont pas de masque au supermarché, et qui ne respectent pas les distances de sécurité, je m’interroge sur l’après confinement.
    Ce qui est sûr, c’est que nous vivons un moment historique.

    • Die Franzoesin

      19 avril 2020

      Ici aussi en Allemagne je ressens un relâchement… Mais je crois que c’est normal, tout le monde commence à en avoir un peu marre et à perdre la motivation des débuts j’imagine 🙁 . personnellement je m’étais lancée pour un sprint le 16 mars et je comprends seulement depuis peu qu’on est parti pour une longue course de fond…

  • Allychachoo - Famille En Chantier

    20 avril 2020

    Me refaire le film pas spécialement, mais cette hébétude qui ne me quitte pas… Moi aussi j’ai minimisé, en même temps c’est ce qu’on nous disait ? Le dernier vendredi d’école, j’ai posé mes enfants puis j’ai filé faire du shopping… Quand j’y repense je me dis que j’étais inconsciente, mais c’était tellement particulier… Aujourd’hui en tout cas je n’en vois pas la fin, j’ai le sentiment qu’on ne comprends toujours pas les tenants et aboutissants de cette pandémie et chaque nouvelle communication du gouvernement m’irrite par son imprécision… Wait & see, c’est le seul mot d’ordre à avoir en tête de toute façon…

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