La fascination des sommets

Mes lectures d’adolescence ont été bercées de récit de haute montagne. D’abord sous forme romanesque avec Premier de cordée, puis Les Conquérants de l’Inutile (Lionel Terray), Annapurna premier 8000 (Maurice Herzog), Triomphe et tragédies à l’Eiger (Rainer Rettner), La mort suspendue (Joe Simpson) et mon favori d’entre tous Carnet du vertige (Louis Lachenal). Pourquoi je te raconte tout ça ? Parce que fin janvier, un sauvetage fabuleux de l’alpiniste Elisabeth Revol sur le Nanga Parbat a été réalisé.

L’ascension

L’ascension a été réussie, Elisabeth et son compagnon de cordée polonais Tomasz Mackiewicz (dit Tomek) ont atteint le sommet du Nanga Parbat (8125m), en style alpin (c’est-à-dire sans corde fixe, ni bouteilles d’oxygène, ni porteurs). Cependant, Tomek a informé Elisabeth qui était en tête de cordée, qu’il ne voyait presque plus. L’altitude provoque un mal aigu des montagnes (MAM) qui nécessite une acclimatation plus ou moins longue en fonction des organismes de chacun et de paramètres aléatoires non maitrisés (on peut très bien supporter l’altitude lors d’une première expédition, puis plus du tout à la suivante). Elisabeth et Tomek ont donc immédiatement entamé la descente afin de soulager l’alpiniste le plus possible. Elle a envoyé des messages afin de solliciter des secours, compte-tenu de l’état de plus en plus critique de son compagnon, qui crachait du sang, signe d’un œdème pulmonaire.

Crédit photo : Simon

Les polémiques

Il y a eu évidemment des polémiques. La première concerne l’argent. La famille et les proches d’Elisabeth Revol ont fait appel à du financement participatif pour réunir les 50 000$ nécessaires à la location de l’hélicoptère de secours. En France, les secours (en montagne, en mer, sous terre) sont gratuits => pris en charge par la collectivité (toi, moi, nous…). Partout ailleurs (à ma connaissance), les secours sont pris en charge par tes assurances ou ton financement privé. Alors pourquoi la polémique sur les secours au Pakistan ? Parce que la somme initialement annoncée (10k$) a été gonflée, puis parce que l’argent a été exigé en cash avant le décollage (tu la sens, la potentielle corruption ?). Bref, l’hélico a pu décoller (saluons ici le courage des pilotes, voler à ces altitudes de près de 5000m, ce n’est pas une promenade). Il a fallu aller chercher des alpinistes acclimatés à l’altitude (impossible de monter rapidement trop haut sans risquer sa vie), sur un sommet presque voisin (le K2), puis déposer les alpinistes et leur matériel au camp de base du Nanga Parbat. Ils sont montés de nuit, seuls avec du matériel, à la rencontre d’Elisabeth. C’est beau cette solidarité entre montagnards.

La seconde polémique concerne son compagnon de cordée. Les secours l’avaient informé qu’elle devait descendre seule, que l’hélicoptère ferait deux rotations, une pour la récupérer elle, l’autre pour récupérer Tomek. Ce dernier ne pouvait probablement plus marcher sans soutien, et il s’agissait pour elle d’une condition de survie. Elle l’a donc mis à l’abri dans leur tente, dans une crevasse, et est descendue seule. Je ne sais pas quels peuvent être les sentiments à ce moment précis, où tu laisses derrière toi ton ami, où tu t’aventures seule et vulnérable sur les flancs d’une montagne en plein hiver et sans matériel. Je ne sais pas si tu as encore des sentiments. Je pense qu’il s’agit de ta survie. Je pense que Tomek savait qu’il allait mourir, s’il était encore conscient à ce moment-là.

Je n’ai pas d’expérience en alpinisme, juste du trek en haute altitude (au-delà de 5000m). Et de ces « balades », sur sol pierreux, sans crampons, dont l’engagement physique et psychologique est bien moindre que ce à quoi ces alpinistes s’exposent, est très éprouvante. J’avais essayé de tenir un petit carnet de voyage, pour y noter mes impressions, mes souvenirs au jour le jour, etc… Et au final, je n’arrivais pas à écrire plus de 3 lignes sans faute d’orthographe. Le manque d’oxygène qui est un mal invisible a de réelles conséquences sur le corps humain. On dort mal, on mange peu. On n’a pas la sensation d’être usé mais en fait, si.

Et au final ?

Et bien, au final, Elisabeth a réalisé un exploit. Pas à 100%, vu qu’elle est redescendue sans Tomek, qu’elle a du appeler des secours, qu’elle est physiquement très abimée (doigts et pied gelés). Au final, Tomek est décédé, et c’est très triste pour sa famille et notamment ses trois enfants. Pas tellement pour lui, il est mort à cause de sa passion. Une partie de l’argent récolté pour les secours sera reversé à sa famille. Ça ne compense rien. Mais les aventuriers sont des égoïstes. Il y a les alpinistes, il y a les marins, il y a des mutants tels que Mike Horn. Ils ont besoin de bouger, d’aller plus loin, plus vite, de se mettre des défis hors normes. Installés dans nos canapés, au chaud, derrière nos écrans, je crois qu’on ne peut pas les comprendre.

 

Es-tu fasciné par ces explorateurs qui repoussent leur limites ? Ou au contraire, tu trouves qu’ils gaspillent leur temps et leur argent ? 

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12 Comments

  • Sarah

    4 avril 2018

    Je comprends très bien ces aventuriers qui veulent dépasser leur limites quitte à mettre leur vie en danger. Après tout c’est leur vie, ils le font en toute conscience des risques que cela entraine. Et Tomek et Elizabeth savaient très bien ce qu’il en était. Dans ces milieux là, pas de pitié, la survie avant tout.

    Par contre, j’avoue que tout ce qui touche au ‘sauvetage’ et à l’argent me laisse plus que perplexe… en effet, à mon sens, s’ils veulent prendre des risques, qu’ils les assument jusqu’au bout. Je ne trouve pas ça normal de devoir faire une cagnotte solidaire pour ces gens. Ils n’ont qu’à prendre une assurance, ou mettre de l’argent de côté pour ces situations extrèmes où ils ont besoin d’aide comme cela se passe partout ailleurs. Et qu’on ne me fasse pas croire qu’ils n’étaient pas au courant de la corruption, c’est pas comme si il n’y a jamais d’accident là-bas. Quand tu visites un pays, quelque soit la raison, tu te dois de connaitre les règles… Je ne dis pas que je défends la corruption, loin de là. Mais si leur désir d’alpinisme ou autre est plus fort, alors ils acceptent les règles du pays, c’est tout.
    Et je ne parle pas juste des alpinistes, ce que je dis vaut aussi pour tous les skieurs qui font du hors piste, des randonneurs du dimanche qui partent avec trop peu d’eau… avoir des secours ‘gratuits’ ne fait que diminuer la responsabilité des gens face au danger.

    • Rigel

      4 avril 2018

      Le problème des assurances est que c’est très bureaucratique et que tu ne peux pas débloquer des fonds en quelques heures, surtout pour ces montants. Et qu’Elisabeth et Tomek n’ayant pas la même nationalité, ni même les mêmes moyens financiers, ils n’avaient peut être pas la même assurance. Enfin, je ne sais pas s’il n’y a pas des exclusions pour certains contextes (typiquement, il le semble que l’assurance de la fédération de spéléologie assure quasi tout en montagne, alpinisme et plongée-sous-marine également mais pas l’utilisation de produits pyrotechniques en souterrain). Là c’était « juste » pour payer l’hélico, je pense que son assurance d’alpinisme a couvert le rapatriement et les premiers soins. Voir même tous les soins, y compris de retour en France.

  • Miss Chat

    4 avril 2018

    C’est une « drôle » de coïncidence que ton article d’aujourd’hui parle de ça vu que le médecin qui a coordonné le sauvetage est décédé hier (dans une avalanche…) Ca m’a donné l’occasion de lire justement sur ce fameux sauvetage, c’était intéressant (et triste car il y a presque toujours des morts malheureusement).
    J’adore les récits de haute montagne, c’est un monde fascinant… J’ai toujours beaucoup aimé lire sur le sujet ! Mais je ne comprends pas qu’on puisse risquer sa vie pour une passion. C’est quelque chose qui me dépasse, j’avoue.
    Le financement participatif ne me choque pas : si des gens ont envie de les aider, tant mieux. Mais personnellement, je ne donnerai jamais d’argent pour ça car j’estime que ça fait partie de la prise de risques à laquelle ils voulaient se confronter. Ils en étaient conscients, à eux de prendre des mesures. Je suis partagée quant à la gratuité des secours en Europe… Dans un sens, c’est un service public comme un autre. Ce n’est pas parce que tu es en tort dans un accident de voiture que la Sécu ne doit pas intervenir… Idem ici pour moi !

    • Sarah

      4 avril 2018

      je suis d’accord pour les soins, on est tous affiliés à la sécu pour le minimum de base. Par contre, c’est l’assurance auto qui prend le reste des frais en charge ou bien la complémentaire santé.
      Je fais de la plongée, j’ai une assurance particulière qui couvrira mes frais si j’ai besoin de me faire secourir.
      Pourquoi n’en est t-il pas de même pour tous les sports ou activités dites ‘à risque’ ?

      (et je te rejoins sur l’autre commentaire, les probabilités et risques d’un accident grave en alpinisme sont bien plus important que dans la vie de tous les jours…)

      • Miss Chat

        5 avril 2018

        Je ne connais pas le sujet des sports à risques donc je ne savais pas ça… mais en effet je suis d’accord, si on le fait pour une activité, pour moi on doit le faire pour toutes les activités de ce type 😉

    • Rigel

      4 avril 2018

      Je ne suis pas certains que le secours en montagne soit gratuit partout en Europe… En France, les communes peuvent réclamer le montant des secours engagés même si en pratique elles ne le font pas.

      • Miss Chat

        5 avril 2018

        Oui, je ne crois pas non plus ! Je disais Europe mais c’était une extrapolation par rapport au fait qu’on paye moins dans nos contrées qu’en Himalaya, sorry 😉
        (bon et en plus en Belgique, on n’a pas de montagne donc on n’a même pas de service de haute montagne !)

  • Anne

    4 avril 2018

    Bonjour, je partage ce texte, malheureusement je ne sais pas de qui il est.
    Antoine Cayrol est guidé de haute montagne, et à accompli de nombreuses expéditions et ascensions.

    Antoine Cayrol est entre la vie et la mort.
    Comme nous tous, vous me direz.
    Sauf que son entre à lui s’est fragilement réduit depuis quelques jours. La faute à un type dont la gestion des aigreurs s’opère à coup de chevrotine, dans la tête et à bout portant. C’était mardi. Le 13. En plus d’être réduit, l’entre de M. Cayrol a été bouleversé car il ne dépend plus seulement de lui, un autre a mis les deux pieds dedans sans y être invité et en dicte désormais la teneur. Jusqu’alors le guide-voyageur auvergnat s’était occupé librement de sa vie et l’avait remplie comme bon lui semble. De l’Everest au Pôle Sud, d’El Capitan au Pôle Nord, du soleil à la glace, des rêves aux réalisations. Sans oublier de s’occuper des autres, ceux qui n’ont pas eu sa chance de choisir.
    De ces vies originales qu’on dit risquées si l’on confond danger et densité.
    Sauf que de sa vie, en montagne ou ailleurs, on en dispose comme on veut tant qu’elle ne dégrade pas celle des autres. Encore heureux. Sauf que celle d’un alpiniste, grimpeur, skieur, aussi forcené soit-il n’est pas plus risquée. On y croise, il est vrai, quelques dangers supplémentaires, à l’allure différente, moins incarnés mais, sachez-le, certainement pas plus de risques. René Daumal définissait l’alpinisme comme l’art de parcourir les montagnes en affrontant les plus grands dangers avec la plus grande prudence. Remplacez les montagnes par le quotidien et vous tenez la définition de l’existence.
    Ne nous trompons pas. La vie au bas ou au loin des montagnes est aussi risquée qu’à leurs sommets. Osons dire plus. La connerie d’un voisin, l’égoïsme d’un chauffard, la loterie de la naissance, la malchance du crabe, la fatigue du cœur… Tous ces mauvais endroits aux mauvais moments, toutes ces pièces lancées en l’air et qui ne retombent pas comme il faudrait. Pour qui veut gouter au risque, il n’est pas nécessaire de se cogner aux montagnes, vivre peut suffire. Si d’aucuns pensent qu’Antoine Cayrol a (eu) la vie d’un trompe la mort, du Linceul à la face sud du Fou, c’est dans un jardinet de Vic-sur-Cère dans le Cantal qu’il l’a côtoyée au plus près. Oui, il se joue la vie et la mort en montagne mais la musique est la même, ailleurs, partout, souvent plus violente, souvent plus subie, souvent plus injuste. Il n’y a pas moins d’imprudence à manger ce que nous mangeons, à respirer ce que nous respirons, à accepter ce que nous acceptons qu’à gravir les montagnes. « Ça peut arriver n’importe où, n’importe quand » cette sentence rangée au rayon des platitudes est pourtant d’une lucidité absolue et d’une sagesse implacable. « On ne sait pas ce qui peut nous arriver demain » délicieuse incertitude, vertigineuse pour nous, qui voulons tout savoir. Raison de plus pour ne pas gâcher et au passage, pour dire à ceux qu’on aime qu’on les aime. Pourquoi attendre demain ?
    Les montagnes, par leur silence, ont pour seul défaut d’amplifier l’écho. À chaque mort là-haut, c’est un fracas qui résonne encore et encore, comme pour mieux condamner. En bas, les morts s’enchaînent mais leurs bruits sont tus par le vacarme ambiant, noyés par le nombre, terrassés par l’habitude, comme pour mieux oublier. La vie d’en bas, sachez-le, est autrement plus décideuse, c’est en cela qu’elle est supérieurement dangereuse.
    Alors amis alpinistes, grimpeurs, skieurs et tout ce qui s’envole, préservez ce délice absolu, vivre et exister comme bon vous semble. Ayez toujours en tête que d’autres n’ont pas le luxe de ce choix mais défendez ce privilège comme un trésor, il n’y a pas de honte à faire le pari du bonheur, certains qui possèdent tout n’en ont pas le cran. Ne laissez jamais dire que votre vie est exagérément risquée. Ne vous laissez jamais accuser d’oubli des autres, inquiets et victimes de vos préférences. Au contraire, poursuivez, amplifiez s’il le faut, il se pourrait bien que votre définition de l’entre et votre discipline à l’honorer soient contagieuses.
    Oui, on peut mourir en montagne mais ne cessons jamais de l’hurler, on peut avant tout y vivre bien.
    Croisons les doigts, faisons en sorte qu’Antoine Cayrol et le plus grand nombre d’entre nous, au-delà des montagnes et des passions, ayons à jamais ce luxe suprême, mettre ce que l’on veut entre la vie et la mort.

    • Camille

      4 avril 2018

      https://alpinemag.fr/entre/ 🙂

      • Anne

        4 avril 2018

        Merci Camille!

    • Miss Chat

      4 avril 2018

      C’est très beau comme texte mais affirmer qu’il est tout aussi risqué de vivre normalement que de faire de l’alpinisme en haute montagne, c’est se foutre de la gueule des gens.

    • Rigel

      4 avril 2018

      Je suis mitigée sur ce texte. Vivre normalement est moins dangereux que d’aller gambader en haute montagne (ou aux pôles), simplement à cause de l’environnement. Comme le dit Miss Chat, affirmer le contraire c’est nous prendre pour des truffes. Chacun fait ce qu’il veut avec sa vie, on n’en a qu’une. Mais les aventuriers sont souvent des égoïstes qui vivent pour leur passion et ont besoin des autres pour l’assouvir. Pour organiser les expéditions parce qu’ils faut toujours des logisticiens pour coordonner un tas de choses et aussi parce que tu as besoin de savoir que tu es attendu pour ne pas abandonner et te laisser mourir dans des situations désespérées.

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