Recherche scientifique et éthique : mon difficile compromis

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Récemment, j’ai accepté de participer à une étude clinique dans un hôpital universitaire de Belgique.

Lors de la création de mon dossier, j’ai dû remplir et signer beaucoup de documents et déclarations diverses, ainsi que donner mon accord sur l’étendue de la recherche clinique sur ma petite personne. Toutes ces difficiles questions qu’on me posait m’ont donné un vrai cas de conscience, auquel je pense presque tous les jours depuis lors. Je voulais donc les mettre à plat et les partager avec toi.

Je te préviens, je vais exclusivement te parler de mon propre ressenti sur le sujet ! Je n’ai pas l’intention de l’extrapoler à un débat de société (mais libre à toi de le faire bien sûr, ici on parle de tout !)

Crédits photo (creative commons) : Tumisu

Pourquoi participer à cette étude clinique

Tout d’abord, deux choses à savoir sur moi :

  1. Je me considère comme une personne très tolérante et ouverte en matière d’éthique. Je ne rentrerai pas dans les détails dans cet article, ce n’est pas le lieu, mais j’ai assez peu de tabous en la matière et je considère que les libertés individuelles sont primordiales.
  2. J’ai foi en la médecine et surtout en la recherche scientifique. Je pense que la recherche est notre salut, notre assurance de vivre dans un monde meilleur de jour en jour. Pour moi, elle vaut bien quelques sacrifices (et ceci ne veut pas dire que je suis pour le recours aux prisonniers à perpétuité pour servir de cobayes humains contre leur volonté, juste pour être claire).

Alors, quand on m’a demandé si je voulais faire partie d’une étude clinique, menée par une université, étudiant le matériel génétique des ovocytes, j’ai dit oui tout de suite.

  • Pour moi qui ne peut pas donner mon sang (tu savais, toi, qu’il y avait une limite minimum de poids pour être donneur ? La frustration…), c’était enfin l’occasion de pouvoir être solidaire à mon échelle, même si c’était plus indirect qu’un don de sang.
  • L’étude consiste à étudier le matériel génétique contenu dans les ovocytes et a pour objectif final d’améliorer la qualité des traitement en PMA (Procréation Médicalement Assistée). A mon sens, c’était donc une belle cause, qui méritait tous les coups de pouce possibles !
  • Il s’agit donc principalement de faire une ponction mensuelle d’ovocytes, durant plusieurs mois. Le seul médicament à prendre, dont les effets sont bien connus et sans risque avéré, est celui pour provoquer l’ovulation (comme ça, ils sont sûrs de l’avoir au bon moment). Le fait que l’étude ne comporte pas d’expérimentation directement sur mon corps, que ça soit uniquement fait sur les cellules et le matériel humain prélevés, a également joué dans ma décision. Hormis les risques « normaux » liés à la ponction qui est une opération chirurgicale, je ne mettais pas grand-chose en jeu.

Je vais être honnête, j’ai tout de même hésité quant au fait de subir autant de ponctions en si peu de temps. Ça me semblait tellement énorme à imposer à mon pauvre petit corps qui n’avait rien demandé, et qui se portait par ailleurs comme un charme. Puis c’était toucher à une partie de mon anatomie avec laquelle j’ai un peu une relation d’amour-haine, j’ai nommé, mon vagin. Au final, je n’ai pas tergiversé longtemps (quelques heures) : après en avoir discuté avec mon entourage proche et la coordinatrice de l’étude clinique, mon côté cartésien et rationnel m’a fait comprendre que ça n’était pas si terrible, que ça ne serait pas une partie de plaisir, certes, mais que ce serait surtout temporaire (et toujours pour une bonne cause).

La question qui fâche

Je te parlais d’éthique car, en plus des ovocytes destinés à l’étude en elle-même, on m’a également demandé si j’acceptais que les ovocytes surnuméraires, les « extras » dont ils n’auraient pas besoin, puissent être donnés à la recherche scientifique au sens large. Mon premier réflexe était de dire : évidemment ! Tant qu’on y était, autant effectivement qu’ils servent à quelque chose plutôt que de finir dans une poubelle biologique. Ca me semblait évident et dans la droite ligne de mon cheminement personnel sur le sujet.

Oui mais… Une des manières dont la recherche scientifique utilise ces ovocytes est notamment de les féconder avec des spermatozoïdes de donneur anonyme et d’expérimenter dessus. Le petit fascicule explicatif disait d’ailleurs : « Les embryons ne survivent pas aux examens effectués. »

L’embryon ne survit pas.

Je crois que c’est là que mon sens de l’éthique très libertaire s’est fait la malle et a laissé la place à un vrai questionnement psychologique et émotionnel. Est-ce l’utilisation de ces termes précis qui rendait les choses plus concrètes, je ne sais pas. Mais l’idée s’est implantée rapidement dans mon esprit : mes ovocytes seraient transformés en embryons, qu’on charcutera et injectera jusqu’à ce que toute vie les quitte. J’avais l’image d’un enfant, mon enfant, mis à mort dans une boîte de Pétri et ce, avec mon plein accord.

Mon côté cartésien et rationnel est revenu à la charge, en me criant, me hurlant que ça n’avait aucun sens de penser comme ça, que j’étais vraiment débile, qu’il fallait bien ça pour améliorer nos connaissances, que ça sauverait peut-être des familles, des couples, de futurs enfants… Il m’a montré la décision belge de 2003 de permettre certaines expérimentations, jusqu’à 14 jours de développement de l’embryon et seulement après soumission à un comité national d’éthique. Un embryon de 14 jours, c’est juste une boule de cellules comme n’importe quelle autre, non ? Ça a l’air tellement encadré et contrôlé. Je trouve même que c’est génial en fait d’avoir cette possibilité de faire avancer la recherche, tout en conservant de telles limites et conditions !

Alors, si je suis acquise à la cause sur le principe, pourquoi j’hésite avec mes propres ovocytes ? Je fais deux poids, deux mesures. J’ai un choix à poser et la réponse a l’air objectivement si simple… Mais le choix n’est pas simple. Parce que justement j’ai mes deux enfants. Je sais à quoi ressemble un enfant de moi. Je sais quel potentiel se cache derrière cet embryon.

Quand une décision est prise

C’est resté au-delà de mes forces. J’ai refusé l’utilisation sous forme d’embryons et uniquement accepté celle sous forme originale de simples ovocytes.

Pourtant, quelle différence pour moi au final ? Aucune.

Je me dis parfois que j’ai été égoïste et il m’arrive de me sentir coupable. Je ne suis toujours pas sûre d’avoir pris la bonne décision. Je rêve parfois que je retourne chez la coordinatrice en lui disant que j’ai changé d’avis, qu’ils peuvent tout prendre et en faire ce qu’ils veulent !

Je me sentais tellement mal à l’aise avec cette idée d’abandonner en cours de route, de ne pas donner tout ce que je pouvais. Mais j’ai l’impression d’en avoir déjà fait assez, d’avoir suffisamment participé pour pouvoir dire « non » au moins une fois. Alors, j’ai dit non. Et je me suis excusée.

Que penses-tu de cette situation ? Aurais-tu accepté l’utilisation d’embryons à des fins de recherche ? As-tu déjà participé à une étude clinique t’ayant posé un cas de conscience ?

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15 Comments

  • Géraldine

    18 juin 2018

    Olala comme je te comprends. On a tous été un petit embryon de 14 semaines, je n’aura également pas pu supporter cette idée!

  • Madame Confettis

    18 juin 2018

    Super intéressant ton article.
    Je comprends ton refus pour la seconde utilisation… je ressens la même chose par rapport à l’avortement. Je suis pro avortement et libre choix mais depuis que j’ai été enceinte et que j’ai mon fils, je ne peux plus le concevoir pour moi même. Avoir vu ce petit coeur battre si tôt lors des échos a changé ma perception pour ce qui me concerne. Vraiment paradoxal mais c’est ainsi.
    En tout cas, c’est magnifique ton geste alors bravo!

    • Miss Chat

      18 juin 2018

      Je suis à 100% sur la même longueur d’ondes et c’est tout à fait ça que tu décris ! Je suis pro-avortement mais aujourd’hui, je ne pourrais probablement plus y avoir recours, ça me semble tellement impossible émotionnellement…
      Merci !

  • Amy

    18 juin 2018

    Pareil je comprends totalement et j’aurais fait le même choix. Mes ovoctyes ok mais crée un embryon pour faire des expérimentations dessus, aussi petit soit il, c’est non.

  • Rigel

    18 juin 2018

    C’est déjà tellement de donner de ta personne pour la recherche, que quelles que soient tes raisons, cartésiennes ou non, tu as le droit de refuser des études sur tes embryons. L’ovocyte est porteur d’une potentialité de vie mais globalement, à chaque cycle, on en élimine un (perdu pour perdu, pourquoi ne pas faire de la recherche dessus). Mais pour un embryon, l’humain n’est plus potentiel. Il existe, sous forme d’un petit tas de cellules qui se sont multipliées. Alors je comprend ton choix et je te félicite pour ton engagement.

    • Miss Chat

      18 juin 2018

      Je ne suis pas allée aussi loin dans la réflexion ! Mais oui ça résume assez bien la situation.

  • Mme Alenvers

    18 juin 2018

    Déjà, bravo pour cette participation. Donner de ton temps et de ta personne pour faire des examens pas forcément très marrants c’est un très beau geste pour la science.
    Pour ce qui est des expériences sur les foetus je vais par contre aller à l’encontre des autres commentaires. Travaillant directement dans les essais cliniques, je comprends le pourquoi et le comment de ces tests. S’il existait une alternative, sois certaine qu’elle serait utilisée. Malheureusement ce n’est pas le cas, et c’est le « sacrifice » à faire pour le moment pour faire évoluer la science, que ce soit pour développer de nouveaux traitements ou de nouvelles procédures ou améliorer ce qui existe déjà.
    Les questions éthiques sont un des problèmes majeurs de la recherche, depuis tout temps. Autrefois c’était la religion qui interdisait la médecine légale car il ne fallait pas profaner les corps. Aujourd’hui on se dit que heureusement que certains ont eu le courage de mettre leur ‘éthique’ de côté (et leur vie !) pour le bien commun quand on sait comment la médecine a évoluée depuis !
    Et puis, ne nous voilons pas la face, quand on prend un simple efferalgan, on ne se demande pas combien de foetus, combien de singes et de chiens ont été sacrifiés sur l’hôtel de la science.
    Je prends volontairement un exemple extrème, mais si on suit la logique, si nous même refusons de donner (sang ou autre) alors pourquoi accepter de prendre ces médicaments ou ces procédures développés grâce aux dons des autres ?
    Une vaste question …

    • Miss Chat

      18 juin 2018

      Merci pour ton commentaire !
      Je suis d’accord avec toi, entièrement gagnée à la cause des études cliniques et je n’ai aucun souci à ce qu’on fasse de l’expérimentation sur des embryons parce que je sais que ça permettra de faire avancer la médecine 🙂 Mon mari travaille aussi dans le milieu et je sais que légalement l’utilisation du matériel humain est justement un dernier recours si rien d’autre n’est possible.
      Mais ici c’était plus que ce que je pouvais faire (sur le coup). Parce qu’en marge de cette étude, je fais aussi un don d’ovocytes et ça faisait un peu trop émotionnellement à gérer. Comme je disais, j’aurai peut-être évolué sur la question d’ici quelques mois et ma décision n’est pas encore irrévocable !

  • Flora

    18 juin 2018

    Je comprends ta décision parce qu’on a fait la même… Notre centre PMA n’autorisant pas de dons d’embryons, pour motifs religieux je crois,on nous a demandé ce qu’on voudrait faire d’éventuels embryons surnuméraire.
    Les envoyer à la poubelle m’embête et je me renseigne pour un éventuel transfert dans un centre ouvert au don à un autre couple parce que le don à la science je n’arrive pas à l’envisager non plus…

    • Miss Chat

      18 juin 2018

      Oh je pensais justement à vous, en me disant que vous aviez dû avoir pareil…! Pour votre centre, je te confirme que c’est bien pour des raisons religieuses (ils n’y pratiquent d’ailleurs pas les euthanasies).
      Mon centre pratique le don d’embryons à d’autres couples ! On en a discuté avec mon mari (même si on n’est pas concerné) et je ne crois pas qu’on aurait pu faire un don d’embryons, je t’avoue…

      • Flora

        18 juin 2018

        Le fait que les dits embryons existent déjà change beaucoup la donne ! Je suis loin d’être convaincue et mon mari encore moins mais on y réfléchit.

  • Caro - WonderMumBreizh

    18 juin 2018

    Je suis une donneuse reguliere de plaquette, j’ai aussi pour objectif de donner mes ovocytes, ayant autour de moi des ami(e)s devant avoir affaire au don.

    Cependant je ne suis pas encore passée à l’acte justement à cause de cette clause… Avec laquelle je n’arrive pas à gérer. Donner oui ! Pour aider un couple oui ! Pour aider la science oui … Enfin normalement, mais j’ai du mal à m’imaginer des personnes faire « mumuse » avec la barrière de la vie avec MES ovocytes…

    • Miss Chat

      18 juin 2018

      Oui, c’est tout à fait ça, je suis ok avec le principe mais c’est autre chose d’y être confrontée… Il n’y a pas vraiment de bonne ou de mauvaise réponse.

  • Petitsruisseauxgrandesrivieres

    20 juin 2018

    Je te trouve déjà très sympa d’accepter des injections hormonales pendant plusieurs mois. Alors savoir qu’avec ton matériel génétique, on pourrait créer des êtres vivants (peu importe leur stade de développement, nous avons tous été des embryons un jour, et la formation d’un être vivant est un processus continu où il est bien difficile de fixer arbitrairement un début de vie), je comprends carrément que ce soit un non ferme et définitif. Et je le dis en étant biologiste, donc bien au courant de ces problématiques. Les progrès médicaux créent des problèmes éthiques en chaîne, c’est désolant 🙁

    • Miss Chat

      21 juin 2018

      Je n’ai pas d’injection pendant plusieurs mois ! Je n’ai qu’une seule piqûre pour provoquer l’ovulation (et bon, le ponction en elle-même) 😉
      Je ne dirais pas que c’est désolant par contre, je pense que justement ça permet de mettre une échelle de valeurs sur ce que nous humains sommes prêts à faire pour améliorer notre vie/assurer notre survie ! Je trouve donc ça plutôt intéressant !

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