J’ai été sportive de haut-niveau pendant quatre ans (SNH). C’est un « titre » pompeux. Car je ne me définissais pas comme ça. Mais oui, mon nom était inscrit sur les listes de SHN, d’abord trois ans sur la liste des sportifs espoirs, puis un an en sportif de haut-niveau seniors.
Pour tout te dire, annoncer ça aux gens, ça claque toujours un peu ! Mais qu’est-ce que ça signifie en fait ?
Pourquoi j’en suis arrivée là ?
Mon père a toujours été un fan de sport. Du genre ancien joueur, puis arbitre, puis bénévole dans un club, et désormais joueur dans un autre sport… Sans compter toutes les chaînes télé de sport à la maison. Ma mère a toujours pratiqué des activités sportives. Donc depuis mon plus jeune âge, comme mon frère et ma sœur, j’ai été contrainte à choisir un sport au mois de septembre, avec le même laïus chaque année : « Tu t’inscris pour toute l’année. Non, le théâtre, ce n’est pas un sport. Non, le poney, ce n’est pas dans nos moyens. »
Mais, je n’aimais pas le sport. Durant toute ma scolarité, je luttais pour ne pas être perpétuellement sur le dernier terrain de volley ou sur la dernière table de ping pong. Je luttais car j’étais une bonne élève, et je ne voulais pas avoir moins de 10-12 dans une matière, même si c’était le sport !
Alors pendant mon enfance, je me suis essayé à la gymnastique, au speed-ball, puis à la natation finalement. Là, je t’avoue que ça m’a plu ! Et puis je voyais que je progressais, mais pas de là à pouvoir faire de super compétitions. Sans compter que j’étais la seule de mon âge à ce niveau dans mon club, alors je m’ennuyais un peu, parce que faire du sport pour faire du sport, ce n’était définitivement pas pour moi.
J’avais 11 ans, et je voulais faire un sport en compétition. J’ai donc suivi les conseils de ma sœur, et je me suis inscrite au sport qu’elle pratiquait auparavant. C’était parfait pour moi, car il ne commence pas avant 10 ans. Je commençais pile à l’âge pour faire la compétition.
Ça me plaît, il y a de l’émulation, un esprit d’équipe, de dépassement de soi, de glisse. Les années passent sans grand résultat, mais je m’accroche. C’est au centre de ma vie.
Je suis grande, bien charpentée comme on dit, j’ai le physique qui colle à ce sport. En plus, on est deux au même âge, même gabarit, dans le même club, alors on se motive mutuellement. À 16 ans, en entrant dans la catégorie junior, on me propose d’entrer sur un pôle Espoir, une structure qui permet un meilleur suivi et encadrement. Mais celui de ma région est très mal défini, donc c’est surtout un encadrement médical, et je reste dans mon club avec les mêmes horaires d’entraînement, le même lycée… La même vie. En tout cas, c’est ce dont j’arrive à convaincre mes parents.
Ma vie de sportive de haut-niveau
Comme je l’avais prévu, ma vie ne change pas vraiment, je fréquente le même lycée, on cale les entraînements en dehors des cours. C’est une organisation, notre entraîneur arrive à nous caser au moins 7 entraînements du programme fédéral en 6 séances, donc c’est gérable. Nos séances sont juste longues, et ce n’est pas toujours drôle, il nous arrive de « craquer », mais il faut toujours finir le programme. Même si c’est les larmes aux yeux, on serre les dents, et ça me plaît, on progresse ensemble, on est dans notre club, encadrées.
La première année, je fais des résultats individuels meilleurs que ce que je pensais. La seconde année, on est convoquées au rassemblement hivernaux nationaux juniors. Au final, un peu de malchance : on n’arrive pas au résultat espéré, mais on est sélectionnées pour disputer la Coupe d’Europe, avec les équipes B de chaque pays (les équipes A vont aux championnats du monde). On arrive à récolter trois médailles en trois jours de compétition (mon honnêteté te dira que le niveau n’était pas élevé), donc trois cérémonies des médailles, trois hymnes (italiens, certes), trois médailles internationales…
Tout au long de l’année, je prévois mon entrée dans la catégorie senior : j’irais dans un vrai pôle Espoir, rattaché à un pôle France, où s’entraînent certains des meilleurs sportifs français. Je pourrais ainsi conjuguer mon projet de haut-niveau et faire mes études dans les meilleures conditions. Je suis excitée de quitter Papa-Maman, et de tenter mon rêve : aller au J.O, voire mieux !
Lorsqu’on a un statut de SHN, on peut avoir des adaptations de parcours : un droit à plus d’absences non-justifiées (justifiées par le sport en fait), à une dispense d’assiduité, à dédoubler l’année d’études en deux ans. En effet : en fréquentant une université lambda, il y a de fortes chances d’être le seul SHN qui suit ce cursus… Il n’y a donc pas de cursus spécialement adapté. D’où ces adaptations possibles.
Moi, j’ai toujours apprécié l’ambiance de classe, et je ne suis pas une bachoteuse : pour réussir, je n’ai pas besoin de réviser, mais il faut que je sois présente en cours. Donc pas question de me servir de la dispense d’assiduité ! Et puis je veux faire un master… Mais bon, passer 10 ans pour ça ? Pas grave, je suis trop forte : je vais faire les deux en même temps, sport et études, sans adaptation de parcours.
Pour que tu comprennes la situation : la plupart des tout-meilleurs du monde, ils ne font rien à côté. Je ne vais pas dire qu’ils sont professionnels, on dit au mieux semi-pro : ils vivent des subventions et sponsors, des aides fédérales, bref ils ne font pas semblant d’avoir une totale double vie. Car moi, j’avais décidé d’assister à tous mes cours. Pour te dire, en L2, j’ai même été dans un amphi où nous étions 6 présents au lieu de 150, oui oui oui ! Mais par ailleurs, je n’avais pas le temps de travailler mes cours à côté, entre le programme d’entraînement des seniors que j’étais incapable de faire même à 80 %, et la fatigue, qui entraîne blessures et maladies à répétitions…
Encore un peu de chance, et puis beaucoup de bataille avec moi-même, d’entraînement, de fatigue, etc. Je te passe toutes les étapes, mais la première année, je finis aux mondiaux espoirs (pour les moins de 23 ans). La fédération nous a envoyé pour nous former, mais le bilan est là on y est, et c’est une expérience géniiiiiiiiiiale. On ne fait aucun résultat, mais j’y suis quoi, BORDEL ! C’est le début ! On est alors à la fin juillet.
Mi-août, stage de reprise. Je me sens en super forme, je suis bien dans l’équipe, j’aime mon sport, ma vie, je progresse. Mes amies sportives me soutiennent que je dois viser haut, je nage dans le bonheur quoi !
Mi-septembre, coup d’arrêt : blessure, c’est une blessure de frottement et de répétition, qu’on n’arrive pas déterminer précisément. Je gères très mal le côté médical, un peu désemparée, et on me compare alors à une autre sportive qui a quasiment la même blessure, mais qui la gère mieux. Je ne peux plus pratiquer pendant trois mois, et à côté je dois faire l’équivalent de 20 % du programme à peine.
Bref, en janvier, on me met en équipe avec ma coéquipière de toujours, qui a eu un hiver un peu difficile aussi. Je crois que c’était l’année de trop ensemble. Chaque entraînement ensemble est un calvaire, mais on arrive à faire le même résultat que l’année d’avant. Mais ça ne suffit pas pour une quelconque qualification…
L’annonce qui a tout chamboulé
En pôle, l’ambiance n’est pas la même qu’en club : le nombre de places est réduit, on mérite sa place, et chaque année, il y a des départs. L’encadrement du mien a changé entre les deux années, et je suis moins à l’aise avec le nouveau. Donc après mes résultats, je ne suis qu’à moitié étonnée quand il me met la pression en me disant que je n’ai pas la garantie d’être reprise, je me dis qu’il ne cherche qu’à me booster.
Et là, tu te doutes de la suite : après la grande réunion au siège de la fédé, la sentence tombe : je suis sortie du pôle, il faut que je vienne rendre mes clés. Je t’avoue que je ne m’y attendais pas vraiment. Mais, ce n’est pas grave, mon pôle et mon club mettent tout en place pour que je puisse m’entraîner en marge du pôle, dans la structure universitaire, avec les mêmes équipements.
Ma peine est tout de même amoindrie : au moins, je pourrais assister au mariage de ma sœur, et remplir à 100 % mon rôle de témoin cet été !
La décision
Il y a beaucoup de choses que tu ne peux pas savoir, qui m’ont fait cogiter :
- Ma blessure n’est jamais partie, même aujourd’hui, alors que j’ai arrêté depuis trois mois, j’ai parfois mal.
- Dès que je pratiquais mon sport, j’avais une gêne, et l’appréhension que ça s’aggrave.
- J’ai toujours fait des résultats corrects… mais n’ai jamais atteint mes objectifs.
- Je n’ai jamais rendu visite à ma sœur ou mes amis vivant loin pendant des années, car je n’avais pas le temps. Pas le temps non plus de rentrer voir ma famille, pas le temps de faire une grasse mat’, pas le temps de faire un stage ou un petit boulot.
- Malgré les aides, je ne vivrais jamais d’être sportive de haut-niveau.
- La L3 qui m’attendait pour la suite de mes études demandait plus qu’une simple assiduité : j’allais devoir travailler sérieusement.
Avec tout ça, les JO semblaient très loin…
Alors quand j’ai reçu un mail qui me demandait ma lettre de motivation pour entrer sur le pôle universitaire, je me suis rendue compte que je ne pouvais pas écrire cette lettre sans mentir. Sauf que c’était deux semaines avant le mariage de ma sœur, or je ne voulais pas lui « voler son été » en me mettant au centre de l’attention.
J’ai donc réfléchi et gambergé seule, puis j’en ai parlé à deux de mes amies, deux des meilleures sportives françaises dans mon domaine. Elles me comprenaient et me soutenaient.
Mais le plus dur était à venir. Je voulais l’annoncer quand il y aurait encore un maximum de ma famille était encore présente, car je ne voulais pas me retrouver seule entre mes parents, et faire face seule à la peine, la tristesse et peut-être l’incompréhension de mon père.
J’ai attendu le sur-lendemain du mariage, au repas, j’ai donc demandé le silence, en disant que j’avais quelque chose à annoncer. Et j’ai dit dans un sanglot « J’arrête le sport à haut-niveau ».
Ma sœur me prend la main, mon beau-frère et ma belle-sœur me soutiennent du regard, ma mère me frotte le dos. « Mais tu peux pas arrêter le sport ? » casse mes sanglots. Merci Papa.
Encore aujourd’hui, c’est parfois, dur. J’ai abandonné ma passion, le centre de ma vie. Mais je pense que j’ai pris la bonne décision.
Et toi ? Tu as dû trancher entre deux parties de ta vie qui empiétaient trop l’une sur l’autre ? Tu connais le milieu du sport de haut-niveau ? Viens en discuter !
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Toi aussi, tu veux témoigner ? C’est par ici !
Nya
2 mars 2015Merci pour ce témoignage ! La vie des sportifs de haut niveau est un peu comme celle des stars pour ma part : je me demande toujours ce qui fait qu’on acquiert ce statut, si on mène une vie vraiment différente… Le sport prenait une telle place dans ta vie, j’imagine que tu n’as pas arrêté complètement ? As-tu trouvé une nouvelle motivation( en tes études, une future carrière ?) ?
Mademoiselle Surbookée
4 mars 2015Alors bon, je pourrais faire au moins deux articles pour répondre à ton commentaire, mais je vais m’efforcer d’être concise 😉
Tout d’abord, je pense que le terme de SHN est utilisé un peu au gré de nos subjectivités, et qu’au final les listes ministérielles de SHN représentent seulement une base administrative (coucou suivi médical obligatoire, aides mais aussi contrôle anti-dopage). Et il y a autant de vie de SHN, que de sport, de niveau et d’objectifs de chacun. Un jeune pongiste de 14 ans classés dans les 20 premiers français comme un champion du monde de foot peut être appelés SHN. Après, ils sont loin d’avoir la même vie (même si l’exemple du ping-pong est mal pris, vu que eux aussi vivent de leur sport). Donc à partir de là, je peux écrire sur ce sujet mais c’est très subjectif, chaque situation est particulière (c’est pourquoi je n’ai pas voulu citer mon sport directement, même si les connaisseurs le reconnaissent sans difficultés).
Pour ce qui est de mon arrêt, il faut savoir que je n’aime pas faire du sport. C’est un fait, la pratique du sport en elle-même me semble une torture. J’aimais la sensation de dépassement, l’esprit d’équipe, les défis, le fait d’aller chercher le meilleur de soi-même de jour en jour, la fierté de réussir à progresser, etc. Donc ma plus grande peur était juste de n’avoir plus rien à faire, de vivre sans avoir d’objectif (pour moi, réussir ses études sans rien à côté n’est pas un but suffisant pour me lever tous les matins). J’ai donc rapidement chercher et (merci mon étoile) trouver une occupation : un contrat de service civique dans un internat pour sportifs de haut-niveau, ce qui m’a pris pendant 6 mois une soirée et une nuit par semaine + un week-end sur deux. A côté de cela, j’ai pris au fur et à mesure toutes les responsabilités possibles dans ma promotion, et les travaux supplémentaires proposés. Le week-ends où je ne travaillais pas, il y avait toujours une visite chez des amis ou mes parents, ou encore un anniversaire à organiser. A partir de là, j’ai vu que prendre un port en compétition en plus devenait impossible. J’ai donc tentée de faire de la zumba, de l’aérobic, des footings réguliers, mais ça a disparu pendant trois mois cet hiver, et ça réapparait que maintenant 😉
Mais pour la nouvelle motivation, je cherche encore vraiment quel carrière me correspondrait le plus 🙂
Virginie
3 mars 2015Merci pour ce témoignage, prendre cette décision a dû être très très difficile, tu as fait preuve d’une grande honnêteté envers tout le monde, y compris toi-même; ce qui me semble le plus important.
Je me pose les mêmes questions que Nya : pour quel sport as-tu opté par la suite ? J’ai du mal à imaginer que tu aies absolument arrêté toutes activités.
Mademoiselle Surbookée
4 mars 2015Merci pour ton commentaire, je crois qu’écrire sur ce blog me fait du bien, même si quand je relis mon article, les larmes montent aux yeux toutes seules.
Comme je l’explique dans ma réponse précédente, en fait je n’ai pas réussi à me tenir à faire un sport, et j’ai perdu tout mon souffle et ma tonicité cet hiver… Mais je me donne comme défi de retrouver une certaine forme avant l’été, avec des petits footings principalement… J’ai arrêté l’activité sportive, mais je n’ai pas arrêté d’être active je pense 😉
Mahieu
25 avril 2016Bonsoir Mademoiselle Surbookée,
Je viens de lire ton témoignages qui me touche vraiment. Je me pose beaucoup de questions, depuis plusieurs mois, probablement trop… Je viens en quelques sortes à la chasse aux réponses.
Pour t expliquer.
Je suis actuellement dans mon troisième année post-bac. Et je pratique un sport depuis maintenant 9 ans. L année de mon bac, dans la dernière catégorie junior, je fus très performante aux championnats de France en individuel. Celui ci était décisif pour mon avenir car je m étais fixée une règle, si j obtenais la qualification en équipe, je poursuivrai le sport de haut niveau et si ce n était pas le cas, je me consacrais à mes études. Malheureusement, cette année la, la fédération a fait quelques restrictions budgétaires et ne m a pas prise, alors que les années precedantes, ma performance aurait été évalué. Tout de même un pôle France s est intéressé à moi et m a proposé un cursus sport étude. Ne savant pas ce que je souhaitais faire dans la vie, j ai alors suivi ma règle. J ai arrêté le sport de haut niveau L année qui suivait. Ce fut un véritable échec psychologique pour moi. Je me suis aperçue que réussir dans les études sans rien a côté comme tu dis ne valait rien du moins à mes yeux. Je n ai jamais particulièrement aimé le sport mais celui la, c était le seul. La glisse, la vitesse, le dépassement de soi, la rigueur et le travail. Une sorte d addiction et surtout ca donnait un sens à ma vie. J ai réussi à reprendre l entraînement ces 3 dernières années, de manière correcte, mais mes études ne permettaient en aucun cas d horaires aménagées ou d équivalence pour pouvoir avoir un entraînement digne d une fille qui souhaite rentrer en équipe. J ai poursuivi dans la voie de mes études, car nombre de mon entourage m a dit et conseille que les études c étaient le plus important et déterminer mon futur professionnel ainsi que l’on gagne pain. Mais clairement aujourd’hui je fais le constat, de nouveau, que la vie ne vaut la peine d être vécue que pour faire les choses qu on aime, et je suis pleine de regrets et de remords. Je me sens affreusement idiote d avoir refusé les opportunités qui s offraient à moi bien que j excelle dans mes études. Je ne peux en parler à personne, car nul ne comprend ce que je ressens. J en pleure. Je vis dans le passé et ne demande qu à remonter le temps. Je n arrive pas a avancer. Mais sans le sport je me sens tout simplement vide, la vie n a pas de sens… Et à ce moment même déterminant de la vie ou je m apprête à être prise dans une grande école, j hésité à tout arrêter pour reprendre en haut niveau ma chèrs passion…
Comment as tu fais pour passer à autre chose ? Comment occupe tu tes journées ?
Tous les conseils sont bons à prendre.
Merci pour ton aide.